L'art du Yin 陰

Les anciens maîtres de Taïchi parlent d'adhérer, coller, fondre, tentatives linguistiques d'éclairer une attitude bien souvent obscure et énigmatique pour nous Occidentaux, qui confondons la détente avec la mollesse, le lâcher-prise avec l'abandon. L'art du Yin est l'art de supporter le Yang sans se confondre avec lui: garder la vivacité, la lucidité et l'écoute, sans crispation. Écouter d'où sourd le mouvement, se tenir à l'orée du jaillissement, et garder un recul salvateur d'avec ce qui jaillit. Contempler activement le vivant, c'est tout d'abord ne pas s'en tenir séparé. Il y a une subtilité dans cette réalité et notre langage ne dénote pas assez le fossé abyssal qui se tient entre le régime de conscience unifié que permet le Taïchi, et l'observation mentale du corps sans lien de ressenti profond. La détente musculaire va entrainer celle des fasciae, puis celle des fasciae entraine celle des membranes plus profondes autour de la moelle épinière et du cerveau. L'état silencieux advient dans une spontanéité naturelle, et le corps lui-même semble changer de nature, de vibration. L'état unifié s'installe avec des allers-retours plus moins longs. Être Yin, plonger dans le Yin, c'est d'abord écouter: écouter permet de laisser place à tout ce qui demande depuis l'enfance un mouvement intègre et intrinsèque, une liberté qui se voudrait l'évidence. Chaque pratiquant de Taïchi ressent cela à très court terme; c'est avec une grande empathie que je propose de maintenir l'élan dans un monde où tout va vite mais s'arrête au moindre effort. Réactualiser voire reconquérir la liberté dont nous sommes faits demande autant qu'elle offre. Et elle offre beaucoup, infiniment plus que nous ne pouvons l'imaginer. Cela commence bien souvent par l'immersion dans une attitude Yin, réceptrice, bienveillante mais lucide.